Pour une fois, Bjorn Arnesen pouvait avouer qu’il était nerveux. Il était passé par tant de champs de bataille, tant d’opérations difficiles et mortelles, et le voilà qui paniquait à l’entrée d’un bureau, sur une planète du Noyau. L’homme qu’il allait rencontrer n’était pas ordinaire : l’amiral Smith, chef de la Police Interstellaire, sans doute responsable en son nom propre de la sécurité de milliards d’habitants de la Fédération, n’affichait rien d’ordinaire. Il ressemblait aux clichés des films sur l’âge pré-spatial, avec sa coupe de cheveux en brosse, son épaisse moustache, son costume en fibres naturelles, beaucoup disaient qu’il ne lui manquait que le chapeau et le parapluie assortis.

En dehors de cet aspect presque rassurant, le personnage était connu pour être infatigable à la tâche. Il tenait son bureau depuis plus de cinquante ans qu’il y avait été nommé et personne ne se souvenait de l’avoir connu indisponible ou en vacances. Au sein de la Fédération, les présidents et les représentants se succédaient, mais beaucoup pensaient que John W. Smith ne quitterait son poste qu’au milieu d’une haie d’honneur posthume. Mais il s’en faudrait encore de deux bons siècles pour la former.

Ce qui inquiétait le plus Bjorn n’était pas le fait que ce personnage, cette légende vivante, l’ait convoqué. Le géant blond connaissait parfaitement ses aptitudes, et il était disponible pour des missions dangereuses. C’était plus le fait qu’il lui avait réservé la journée. Qu’un personnage de ce niveau passe autant de temps avec une recrue potentielle, quelle qu’elle soit, était tout au moins inhabituel.

–          Monsieur Arnesen …

Bjorn nota l’usage de la forme civile plutôt que son grade.

–          Mes respects, amiral.

–          Je me doute de votre perplexité concernant cet entretien, mais il s’agit d’une chose que je ne voudrais déléguer à personne. J’ai un projet, extrêmement important pour la Fédération, et je sélectionne mon équipe soigneusement.

–          J’en suis honoré, amiral.

–          Faisons trêve ici de politesses, et parlons de votre carrière. Vous êtes natif de Halcen, où vous effectuez vos premières classes. Vous différez sensiblement du morphotype local.

–          Oui monsieur, la majorité de la population est adaptée à la gravité de 3g locale, ce qui produit des individus de petite taille, d’une force et résistance nettement supérieures aux capacités humaines dites ordinaires. J’ai subi une mutation qui donne les mêmes traits mais pour une taille située dans les limites hautes de la répartition humaine. Un avantage athlétique considérable, mais que la technologie compense aisément.

–          Vous entrez dans les commandos de la flotte, et vous retrouvez dans l’équipe de gravball où vous faites trois saisons spectaculaires aux côtés de Richard Owen, qui a par ailleurs cherché à vous conserver comme équipier quand il est passé pro, et a eu la carrière qu’on lui connaît maintenant. Des regrets ?

–          Aucun. Le côté extra sportif et le star system ne m’intéressaient pas du tout. J’ai préféré rejoindre une unité de combat.

–          À ce stade, vous entrez dans le premier régiment de commandos de la sixième flotte.

–          La putain de meilleure unité de la fédération… sauf votre respect monsieur.

–          J’espère toujours qu’aucune unité n’aura à battre les états de service de celle-ci, capitaine. Mais elle a toujours eu des tâches de plus en plus difficiles à accomplir. Vous étiez sur Wotan 3.

–          Oui monsieur, répondit-il, la voix soudain assourdie.

Smith activa un projecteur holographique.

Bjorn Arnesen se souvenait de Wotan 3, et certaines nuits il y retournait encore. Au moment où cela avait commencé pour lui, il était en train de jouer une partie de gravball, à son poste ordinaire, cette fois entre permissionnaires de la flotte et personnel de la station A40, lorsque tous les communicateurs des visiteurs s’étaient allumés simultanément, émettant l’hologramme rouge indiquant la priorité absolue. Les locaux s’étaient arrêtés de jouer d’un bel ensemble, laissant libre la voie vers la sortie du cube. La tribune se vidait déjà, beaucoup des spectateurs, faisant partie de la Flotte, avaient reçu le même appel. Dans la station, les pistes de guidage indiquaient toutes la direction des hangars à navettes. Bjorn avait suivi la direction des navettes menant vers le transporteur de troupes Callisto, son navire d’attache. Le ballet des petits vaisseaux avait déjà commencé, des dizaines d’entre eux, auxquels s’étaient adjointes, fait exceptionnel, les barges d’atterrissage, emmenaient les équipages et les soldats vers les bâtiments majeurs de la flotte, les avisos se pressaient entre eux pour prendre leurs compléments d’équipages sur les sas de la station.

Il était rare de pouvoir contempler la totalité de la VI° Flotte à l’œil nu. Dans le champ de l’espace, à moins d’une dizaine de kilomètres, la longue silhouette de l’Intrépide semblait dominer la situation, à la fois le point focal de l’attention, point d’origine d’une longue ligne de navettes, centre de commandement, formidable canonnière, et pont d’envol pour plusieurs dizaines de chasseurs et bombardiers spatiaux.

Autour du vaisseau amiral, les croiseurs semblaient comme des avortons, faciles à confondre de loin avec les transporteurs lourds, véritables villes flottantes, mais dont les pseudos canons étaient des éjecteurs de capsules. Autour se trouvait la nuée de croiseurs légers, de corvettes, lesquelles étaient une à une rejointes par leurs avisos lance-torpilles. Le spectacle d’un millier de vaisseaux avait ceci de foisonnant et d’ordonné que beaucoup des combattants  turent un moment leurs interrogations pour l’admirer.

Dans la flotte, il existait peu d’ordres ayant un tel niveau de priorité que celui de branle-bas immédiat. L’ordre enjoignait à tous membre d’équipage ou des forces armées d’arrêter toute activité, de rejoindre immédiatement leurs postes de combat, sans même prendre le temps de récupérer leurs affaires sur place. Une commission spéciale se chargeait de les récupérer ou de compenser les pertes.

Bjorn n’eut aucune réponse à ses interrogations, largement partagées, pendant le court trajet de la navette. Celle-ci entra dans le Callisto, se posa sur le pont principal, pendant que la sirène de largage s’activait. Bjorn sortit parmi les derniers, et courut avec les autres vers les quartiers. La navette suivante arrivait déjà. Dans les quartiers, le canal officiel montrait la progression du départ. Il fallut moins d’une heure pour que la dernière navette quitte la station. Entre temps, un bandeau s’était affiché en bas des écrans : « la situation d’urgence est liée à l’invasion de Sleipnir (Wotan 3) par des insectoïdes. Les personnes connaissant les lieux et qui y ont résidé récemment sont priées de se faire connaître au Centre Tactique. »

Le chargement à peine terminé, une annonce apparut : « Briefing général » avec un compte à rebours de cinq minutes. Au moment précis de l’expiration, l’emblème de la flotte disparut, faisant place à la silhouette avantageuse de l’amirale Landret, dans son uniforme de combat bleu marine, tête nue. Son air grave en disait long sur la situation, si des gens avaient encore des doutes. Elle commença son discours.

–          Équipages et soldats de la Fédération, nous vivons en ce moment l’une de ses heures les plus sombres. Il y a un peu plus d’une heure, nous avons appris l’attaque par une force insectoïde gigantesque, de la jeune colonie de Sleipnir. Cette attaque a commencé il y a trois jours. Nous mesurons pleinement l’étendue de ces délais. Si nous ne partons pas pour sauver cette population, nous y allons pour préserver ce qui peut encore l’être. Nous partons dès cet instant, pour émerger au large de Sleipnir dans soixante-sept heures. Aussitôt le rassemblement terminé, nous serons directement en opération, il n’y aura pas de round d’observation, nos scouts sont déjà partis et auront accompli ce travail quand la flotte arrivera. Je compte sur chacun d’entre vous, au meilleur de vos capacités, pour réagir au mieux pour le bien de la Fédération, quoi que nous trouvions à notre arrivée. Landret, de l’Intrépide, terminé.

Bjorn connaissait le style ordinaire des discours de l’amirale. Elle n’avait ni rêve, ni espoir à vendre. Seulement la certitude de la pleine puissance de la formidable machine de guerre qu’elle commandait, et que tout arpent pris à la Fédération devait se payer chèrement, fût-ce en sang rouge, vert ou gris.

Depuis le début du discours de l’amiral, les bâtiments de la flotte avaient quitté leur position, et étaient passés en accélération maximale, sans doute pour un rassemblement étagé à l’arrivée : les vaisseaux les plus lents, donc les plus massifs, arriveraient en dernier, protégés par un rideau d’unités plus légères. La situation de la base A40 offrait un avantage indéniable ; il n’y avait pas d’étoile à proximité, et par conséquent les vaisseaux pouvaient éviter de passer une dizaine d’heures à se traîner jusqu’à une distance assez importante d’une étoile pour sauter.

Les presque trois jours qui suivirent ne furent pas laissés vacants par les instructeurs. Le vaisseau était amplement pourvu en capacités permettant de maintenir les passagers en forme. Et de quoi s’abstenir de penser. Bjorn menait son groupe au travers des exercices, semi-réels dans la salle d’entraînement, ou simulés en console de simsense.      Le moment fatidique, longtemps marqué par un compte à rebours, arriva finalement, au terme d’une nuit de repos complète et d’une séance de décrassage.

Au moment de l’émergence, Bjorn et ses hommes étaient au repos, dans leurs couchettes d’éjection, armurés et armés, même si les plans prévus leur donnaient à tous une dizaine d’heures avant l’action : une opération d’abordage spatial pouvait être envisagée, et la Première section était prête, pour l’espace ou un largage au sol. Les armures sophistiquées dont étaient revêtus les commandos pourvoyaient à leurs moindres besoins, y compris de l’exercice musculaire, ce qui rendait la longue attente immobile supportable.

Les schémas tactiques les plus probables indiquaient un engagement massif au niveau de la flotte, sans utiliser de moyens terrestres.

Le vaisseau sortit sans doute de l’hyperespace. Un bourdonnement se fit soudain présent, largement audible. Il s’agissait à la fois des bruits des générateurs, poussés au maximum, en plus de ceux générés par les champs de force, de la même puissance que ceux du navire amiral. L’une des procédures standard était en effet d’émerger avec tous ses boucliers actifs, et de nombreux équipages qui avaient pesté contre cet excédent de travail avaient apprécié son utilité.

Les écrans tactiques revinrent à la vie au moment précis de l’émergence. L’Intrépide était arrivé quelques secondes auparavant et avait commencé à déverser ses premières vagues de chasseurs. Sur l’avant du dispositif, un groupe d’avisos attaquait des éclaireurs insectoïdes, éliminant la menace aux canons. Les torpilles habitées des agresseurs étaient accueillies par un feu nourri de la flotte et peu, très peu, arrivèrent à détonner près d’un vaisseau de la Fédération, sans dégâts autres qu’aux écrans des vaisseaux de couverture.

–          Ils n’ont plus grand-chose en l’air, dit Turner, qui commandait le groupe d’armures mécanisées. Ils ont dû commencer à s’enterrer.

–          Confirmation de phase 1, on n’a plus beaucoup de temps avant que leurs canons soient opérationnels.

Les canons planétaires des insectoïdes étaient l’une des énigmes de cette race. Probablement dérivés d’artéfacts d’une race oubliée et avancée, ils étaient en contradiction totale avec l’ensemble de la technologie, plutôt primitive, qui leur était connue. Mais les punaises en maîtrisaient la fabrication. Les déloger était devenu une course contre la montre. Au-delà de ce délai, les Insectes auraient une tête de pont si solide que seule la force combinée de plusieurs flottes pourrait éliminer le danger qu’ils représenteraient à court terme pour les autres colonies.

L’image changea, laissant place à l’amirale. Elle était grave, solennelle. L’annonce ne devait pas être un simple briefing de bataille. Elle récita, d’un ton mécanique « Du commandement de la Sixième Flotte par l’Amiral Landret, officier commandant. Authentification nécessaire pour exécuter les ordres suivants. » Le bord de l’écran passa au vert, indication que les systèmes de communication du vaisseau avaient authentifié que la communication provenait du pont principal de l’Intrépide, et que l’amirale était en direct.

–          Au regard de la situation tactique, le gouvernement de la Fédération des Planètes Unies et le Président de la Fédération ont signé l’application du protocole Omega. Par conséquent, l’intégralité des actions de guerre qui entoureront ces faits sera soumise à une enquête détaillée. La position de base est que, de la population de Sleipnir, personne n’a survécu. Je vous laisse à vos officiers tactiques respectifs. Soldats et équipages, pour l’honneur de la Fédération. » Elle exécuta un salut solennel et l’image passa au sigle de F6Com.

–          Pfuuu ! Siffla quelqu’un sur le canal. La Vieille est dans une sacrée fureur ce matin.

–          Omega ! Omega ! Scanda une voix.

–          Combien de fois a-t-on appliqué ça ?

–          Trois. Dont une sous secret militaire.

–          Je suis passé sur Sleipnir il y a deux ans, c’était une jolie planète. Putain quelle chiasse !

–          Pourquoi sa colère ? On ne pouvait pas faire plus vite.

–          Parce que le congrès a refusé la ligne sept du budget militaire, le réseau de détecteurs à longue portée.

–          Ça aurait sauvé Sleipnir ?

–          On aurait eu le temps d’évacuer, et on aurait pu savoir d’où ils essaiment, tous les trois ou quatre ans.

–          Tu parles d’une affaire, trouver une planète où ils sont enterrés depuis des siècles…

–          Oméga ! Oméga !

–          Et tu vas la poser à la main ton oméga ? En passant au travers d’un million de vaisseaux ? On va en chier grave pour faire sauter le champ planétaire, rien qu’ici.

–          A tous les pelotons, votre attention s’il vous plaît. Rejoignez vos canaux tactiques.

–          On se retrouve en bas les gars.

Les énormes canons du Callisto avaient commencé à cracher, non pas de l’énergie comme les autres vaisseaux, mais des projectiles autrement plus précieux : en plus de drones générateurs de champs de forces destinés à repousser des tirs venus du sol et à brouiller les communications et radars, une quantité de capsules contenaient des combattants avec leur équipement. Ces combattants étaient de deux sortes : les ‘’légers’’ comme Bjorn, engoncés dans une carapace de leur taille, et les ‘’lourds’’ dont les A.M.I. ‘’assaut’’ dominaient les fantassins avec leurs trois mètres de haut, leur armement intégré, leur capacité de destruction phénoménale.

Sanglé dans sa couchette depuis l’émergence, Bjorn avait tranquillement suivi les instructeurs décrivant les conditions au sol. Pendant ce temps, les armures de haute technologie de ces combattants surarmés avaient fourni à leurs corps immobilisés tous leurs besoins, y compris en exercices musculaires. Nul ne commençait une opération ankylosé ou ne courait le risque de claquage.

Aussitôt la coiffe thermique larguée, Bjorn se mit à regarder les membres de sa compagnie. Tous étaient groupés autour de lui, destinés à arriver quarante secondes après les ‘’lourds’’. Au-dessous d’eux, l’écran de protection faisait du bon travail. Il assista au poser des AMI, la tornade de destruction qui s’ensuivit allégea complètement la charge des écrans. Le point d’impact devint rapidement visible, du moins dans les viseurs, la visibilité réelle devant être proche du zéro.

Trois… Deux… Un … Impact ! Tous les compensateurs se mirent en action au moment du largage final. Bjorn et sa section étaient tombés au point prévu, à moins de cinquante mètres du cercle formé par les lourds. La gravité s’annula un bref moment, celui que les commandos craignaient le plus, et répondit à leurs réglages. L’entrée de l’objectif était à deux cents mètres, et la ligne de feu concentrée des AMI détruisait toute matière interposée entre eux et cette entrée. Des centaines d’insectes carbonisés jonchaient le sol,  déchiquetés par les explosions, liquéfiés par les tirs de plasma.

–          Presque facile, dit quelqu’un, on arrive au bon moment. Les soldats étaient sortis en protection.

–          Groupe bleu, à vous, dit le commandant AMI, on a deux gars dans la première salle, il reste peu de résistance. C’est refroidi.

–          On y va !

Les commandos, sautant à haute vitesse au ras du sol, pénétrèrent rapidement dans l’entrée monumentale du générateur. Quatre drones  étaient au repos, les cartes de navigation se mirent à jour.

–          Zut, ils n’ont pas chômé. Ils ont ouvert les passages latéraux. On laisse deux hommes à chaque entrée, dit Bjorn. Rapports des sondes ?

–          Du brouillard sur le chemin principal, répondit un ‘’lourd’’ situé devant. Ils ont détruit deux sondes avec une faible puissance de feu. Mais le couloir est trop bas pour nous, ça va être à vous.

–          Compris. En avant, à fond.

Les commandos commencèrent à courir dans les couloirs, chose facilitée par la petite taille de la plupart d’entre eux, tous natifs de Halcen, et adaptés à trois g.

A chaque intersection rencontrée, deux hommes restaient derrière. La progression fut bientôt ralentie par une faible résistance de petits insectoïdes armés.

–          Des techniciens et ouvriers, fit Bjorn.

–          Ils cherchent à gagner du temps, répondit-on. Faites vite.

Ne prenant pas le temps de détruire les groupes à distance, Bjorn dégaina la courte poignée qui pendait à son côté. Entre ses mains, elle émit une mince luminescence violette, d’un peu moins d’un mètre de long. Puis il chargea. Son écran individuel arrêta la totalité des rayons. Atterrissant au milieu des insectes, il décrivit une large courbe de son sabre, tranchant membres et têtes sur le passage de l’arme. Quatrième figure. Les armes de contact, en particulier la redoutable épée de forces, avaient cet avantage de passer outre aux champs de protection, qui avaient largement influencé le combat de fantassins : il fallait parfois tirer longtemps pour « descendre » un champ protecteur, alors qu’une lame passait toujours. Une lame de forces passait également les armures.

Septième figure. Bjorn en pointe, chargeant au travers des défenseurs, le groupe qui s’amenuisait à chaque intersection atteignit le point non reconnu. Bjorn n’avait plus que deux équipiers avec lui, Coleson et Lavier. Une carcasse de drone témoignait du point de destruction des sondes.

L’atmosphère à cet endroit était différente. Plus chaude, à plus de trente degrés, humide à saturation, au point de créer une brume épaisse.

–          Sonde ! Cria Bjorn.

Aussitôt, un projectile venu de derrière le dépassa, puis flamboya au milieu d’une grande pièce avant de tomber. La pièce était encombrée de sculptures grotesques et informes, une haute silhouette au fond semblait s’activer frénétiquement. Le plan indiquait la position du réacteur, juste un étage en-dessous, en bas de cette passerelle. Bjorn enclencha la vision de son armure en mode 360+, une vision panoramique complète, avec une bonne visibilité vers le dessus : les Insectes aimaient se laisser tomber pour une attaque surprise. Laissant ses deux équipiers sur le seuil, il avança le sabre au clair. Il commença à contourner les structures grotesques du centre. La troisième hypothèse était la bonne, le lieu avait été utilisé comme couveuse, et les structures contenaient les cadavres d’animaux et d’humains utilisés servant de réserves de nourriture. Ou pire. Passant derrière une colonne, il discerna dans la masse le corps distendu d’une enfant, agité de tremblements répugnants. Il sentit le sang quitter son visage quand la forme ouvrit les yeux, et parla. ‘’Monsieur, j’ai mal.’’

Il entendit dans son communicateur un ‘’oh merde’’ véhément, et accomplit le dernier geste qui pût soulager la gosse. Comme si cela avait été un signal, le détecteur de mouvements signalait des déplacements importants en bas. Il se mit en garde, repéra une cible dans son dos, et frappa. Le garde royal sembla marquer un moment d’hésitation alors que la lame traversait son thorax, avant de retomber, proprement découpé en deux, dans un jaillissement de fluides corporels. Derrière, dans les couloirs, les commandos recevaient des visiteurs. Ils y étaient préparés.

En contrebas de la passerelle, quatre gardes royaux se précipitaient vers l’escalier, quatre autres arrivaient derrière. Bjorn décrocha un objet de forme lenticulaire de sa poitrine, le lança vers le bas. L’objet partit sur une trajectoire tendue, descendant jusqu’à moins de deux mètres du sol avant de se retourner brusquement. L’espace d’un instant, les deux champs de forces parallèles générés par la grav-grenade furent visibles dans l’environnement brumeux, alors que la déflagration restait contenue entre les deux plans. Les effets furent dévastateurs. Les champs des gardes royaux cédèrent instantanément, les éclats et le souffle découpant armure, et insectes sur leur passage. Seul l’insecte de tête avait eu le temps de se hisser au-dessus de l’explosion, et Bjorn le cueillit d’un revers de son sabre avant de sauter sous 6g, réduisant sa durée de chute. Il fit un rétablissement en roulade, portant un coup aux membres inférieurs de la grande créature. La pondeuse. Celle-ci, déjà touchée par la grav-grenade et les tirs des deux autres commandos, ne réagit que mollement à l’assaut.

À ce moment, Lavier cria depuis la porte ‘’plafond’’. Des fouisseurs venaient en effet de tomber du haut, aussitôt suivis par des soldats. Bjorn décrocha une de ses charges de démolition, et la plaça sur le générateur. Comprenant son intention, la reine se laissa tomber pour décrocher la charge. Bjorn l’accueillit du bout de sa lame, ouvrant le ventre mou de la pondeuse, et doubla d’un grand mouvement à la tête. Sans plus attendre, il sauta vers le haut, avec son champ protecteur au maximum de puissance pendant qu’il déclenchait la charge. L’explosion le cueillit alors qu’il terminait son vol et l’envoya percuter les soldats qui arrivaient, non sans qu’il coupe proprement un bras armé. D’une roulade, il se releva à nouveau. Coleson tenait Lavier, inconsciente. Une lame avait traversé son épaisse armure. Le colmatage avait commencé, et les signaux vitaux restaient positifs. L’annonce arriva dans tous les communicateurs : ’’Champ de forces planétaire désactivé, évacuation.’’ La voix de l’amirale. De l’autre côté de la planète, le croiseur lourd venait sûrement d’activer le dispositif le plus terrible de son arsenal.

L’armure de sa coéquipière avait activé la réanimation et enrayé l’hémorragie. Les stimulants la remettaient en état d’agir. Laissant Coleson la soutenir, Bjorn couvrit sur l’arrière, déclenchant une rafale de tirs, et posa sa dernière charge de démolition. Son écran ne pouvant plus supporter une telle charge, il attendit d’avoir passé le coin pour activer la détonation. Le souffle le secoua, mais le couloir était bloqué pour quelques instants. Devant lui, ses gens étaient prêts à décrocher.  Le superviseur avait placé l’armure de Lavier en mode ‘’vol’’ et celle-ci traversait rapidement les points de contrôle. Bjorn joignit rapidement plusieurs groupes, assurant le relai de la couverture, lorsque les détecteurs de mouvement s’affolèrent. Bjorn eut à peine le temps de voir Renson tomber sous un effondrement du plafond à l’arrière. Les signaux vitaux du sergent avaient disparu. Bjorn et les trois autres personnes derrière lui firent volte-face pour envoyer un déluge de feu vers l’arrière, lorsque le commandant, qui avait été assez discret comme il se devait, lança dans leurs coms ‘’reculez de 100 mètres et volez haut.’’ Voler haut était un exploit dans ces couloirs, trop bas pour que les AMI puissent passer, mais les commandos  se mirent en file, évoluant à toute vitesse et à deux mètres du sol. Derrière, les insectes chargeaient. Ils allaient à peu près aussi vite, et avaient dégainé les armes de contact. La grande salle où ils avaient laissé les lourds approchait rapidement. Soudain, alors que le premier commando passait l’entrée, deux des AMI s’encadrèrent à genoux dans le bas de la porte et déclenchèrent un barrage d’armes énergétiques, tirant juste au-dessous des fuyards. Le résultat fut quasi-immédiat, l’air surchauffé par les décharges de plasma était monté à une température importante lorsque le dernier commando franchit le seuil et ‘’tomba’’ au plafond. Aucun insecte ne devait sortir par là.

‘’Collecteurs en place’’ fit la voix du commandant.

Passant au travers de la grande porte, les commandos  continuèrent leur ascension, jusqu’à une grande barge qui venait pratiquement d’apparaître. Le pilotage automatique des armures mena directement dans les capsules individuelles où toute défaillance d’une armure endommagée aurait été palliée. Autour, d’autres navettes arrivaient de leur descente orbitale à une vitesse hypersonique, et repartaient en accélération maximale. Deux des navettes furent touchées en pleine descente et s’écrasèrent. La navette de Bjorn rugit, traversa une couche nuageuse, puis passa derrière le champ d’un croiseur avant de se diriger vers le Callisto. La séquence suivante, la destruction d’une planète par l’action d’un bloc d’antimatière précipité sous la plaque continentale, fut  coupée par Smith.

L’air toujours aussi indéchiffrable, il regarda Bjorn. Le géant s’était décomposé.

–          Je n’avais jamais revu l’enregistrement. Mais elle, je la revois souvent quand  je ferme les yeux. J’ignore même comment  …

–          Elle s’appelait Ellyra. Elle avait huit ans. Pour votre tranquillité d’esprit, j’ai une autre séquence à vous montrer. Elle est couverte par le sceau du secret parlementaire, mais j’ai les prérogatives pour vous le dévoiler.

Il commanda une nouvelle séquence holographique. Cette fois, l’image était prise à l’intérieur d’un bâtiment administratif, presque certainement sur New Dallas. Une cinquantaine de sénateurs étaient assis aux pupitres, et l’amirale Landret était à la tribune. Bjorn se souvint qu’elle avait laissé le commandement provisoire à son second, juste après l’opération. Elle venait visiblement de passer le même enregistrement, et non sans calcul, la séquence s’était achevée en revenant sur le visage de l’enfant. Un des sénateurs, visiblement nerveux, prit la parole. Le sous titrage indiquait ‘’Sénateur Wallace, président de la commission de défense’’.

–          Ce document que vous nous amenez est édifiant sur les aptitudes de vos commandos, amiral. J’aurais néanmoins espéré que vous nous présentiez l’homme de pointe, la séquence ne présentant pas les identités des commandos.

–          J’étais l’homme de pointe, en tant que commandant en chef de l’opération. Chacun de mes commandos pourra dire ‘’J’étais l’homme de pointe’’, car tous auraient pu tenir ce rôle. Un seul homme arborera cette citation précise pour hauts faits de guerre, mais cet homme, je ne le livrerai pas à vos plans et vos calculs, pour qu’il soit héros un jour, et le lendemain celui qui aura tué une petite fille. Il est celui qui a eu pitié d’une enfant.

Une pitié rendue nécessaire à cause de l’absence du système EagleEye, qui a été rejeté dans cette même commission il y a six ans. Cette commission que vous présidiez déjà Sénateur Wallace, et où vous avez instamment œuvré pour que le système GalaxyScan soit choisi.

–          Amiral, nous ne sommes pas là pour discuter d’arguties politiques et de choix stratégiques pour les …

–          Laissez-moi continuer sénateur, ceci n’a rien de politique. Le système EagleEye a été rejeté parce-que la commission attendait de voir les résultats du système GalaxyScan, qui avait déjà deux ans de retard, et a été validé comme choix l’année dernière, mais n’est pas encore déployé. Les services de renseignement militaires de la VI° Flotte ont recueilli des données relatives au GalaxyScan, que des agents du IV° Reich tentaient de transmettre, et les rapports internes sont accablants sur les déficiences du système. Membres de la Commission, ce rapport vient d’être transmis à vos terminaux sous le sceau militaire.

–          Amiral, vous outrepassez …

–          Je n’en ai pas terminé avec vous sénateur. Les services de renseignements de la Police Interstellaire ont déterminé que la compagnie ZITREX, qui développe le GalaxyScan, est détenue pour soixante pour cent de ses actions par des fonds situés dans une douzaine de portefeuilles au nom d’autant de  sociétés de la Fédération Mercantile, mais que ces sociétés sont toutes possédées par le consortium Agvar, dont le sénateur Wallace est l’actionnaire principal. Ces documents viennent d’être déposés à la cour de justice de la Fédération. La Police Interstellaire est en train d’établir contre le sénateur Wallace un acte d’accusation pour un certain nombre de délits et de crimes qu’il ne m’appartient pas de qualifier en tant que militaire. L’ensemble des documents est disponible pour la  commission. Sénateur, vous êtes attendu à la sortie. La justice déterminera, Sénateur, si vous avez tué cette enfant, pour un contrat de deux cents milliards de crédits.

Smith coupa la retransmission. Bjorn était pensif, il se ravisa rapidement.

–          Amiral, s’il était connu dans la flotte que l’Amirale Landret avait dit cela devant la commission, les commandos auraient forcé son bureau pour la porter en triomphe dans tout l’Intrépide, en dépit de sa dignité.

–          J’ai visualisé un précédent, c’était … festif.

–          Le sénateur, monsieur .., c’est un cas isolé ?

–          À ce niveau c’est une première. Vous savez sans doute ce qu’il est advenu de lui.

–          Oui, accusé de haute trahison sous secret militaire, ce qui fait que les motifs n’étaient pas divulgués sur l’avis de recherche lors de sa fuite après sa libération sous caution. J’ai reçu cet avis lors de mon assignation sur Reagan.

–          Discutons de cette affectation.

–          Après Sleipnir j’ai cherché autre-chose. Un engagement à la Défense Planétaire sur une planète externe me semblait plus approprié. J’ai été accueilli chaleureusement …

Bjorn se souvenait de l’accueil de cette petite brigade de police, de son collègue Pietro Alanzi qui l’avait hébergé les premiers jours, les années calmes au sein de l’unité, les longues randonnées avec Pietro, sa femme Maria, et leur petite Emily, dont le ‘’tonton Yorn’’ était le héros.

Puis, six mois auparavant, les événements s’étaient précipités. La mafia locale était subitement devenue dure, très violente, et une véritable guerre urbaine s’était ensuivie. Pietro était un tireur d’élite, un des meilleurs, et il aurait eu sa place dans les unités de commandos de l’ancienne vie de Bjorn. Leur duo avait démêlé par la manière forte nombre de situations tournant plus au terrorisme qu’à la délinquance ou au banditisme. Les mafieux n’en étaient devenus que plus violents, jusqu’au jour où ils s’en prirent à la famille de Pietro.

Smith activa le projecteur holographique. Bjorn sursauta, comme pris d’une terreur soudaine, mais se calma rapidement. La scène représentait un cimetière ordinaire comme il s’en trouve encore sur les planètes extérieures, une centaine de personnes dont beaucoup en uniforme devant deux cercueils, un grand et un petit. Bjorn vit Pietro au premier rang de ses personnes, l’air complètement atterré. Une partie de la brigade était autour, et leurs gestes témoignaient de leur compassion et de leur colère.

–          Quelques minutes plus tard, reprit Smith, un livreur qui effectuait un trajet sur une voie extra-urbaine, à dix kilomètres du cimetière, découvrait ceci …

L’hologramme changea pour un théâtre de bataille. Une bataille terminée, avec une vingtaine de véhicules détruits, tous des semi-blindés, certains fortement armés, avec dedans et autour des dizaines de cadavres calcinés ou ravagés par des explosions.

–          Je suppose que vous savez de qui il s’agissait ?

–          Oui monsieur, la ‘’smala’’. Les hommes de main de Don Guiseppe. Et Don Guiseppe était dans le  véhicule de commandement. Il paraît qu’ils étaient en route pour faire du chahut devant le cimetière pendant la cérémonie. Une provocation de plus.

–          Vous n’étiez pas présent à la cérémonie.

–          Non monsieur.

–          Vous avez dit au juge Thompson que vous étiez à l’infirmerie pendant qu’elle se déroulait.

–          C’est exact monsieur, c’est bien ce que je lui ai dit.

–          Qu’en est-il ?

–          Monsieur, je considère pouvoir dire ce qui me plaît à un jeune fonctionnaire récemment implanté, qui sans avoir d’autre source de fortune ou de revenus officielle mène un train de vie de playboy en se prétendant juge. Mais si vous me demandez où j’étais à ce moment, …

–          Cette affaire ne concerne pas la Police Interstellaire.

–          Bien, monsieur.

–          On dit qu’il aurait fallu la force de frappe d’un peloton pour anéantir cette colonne.

–          Oui monsieur.

–          Quelle est la situation sur Reagan suite à ces événements ?

–          Dans les semaines qui ont suivi la disparition de Don Guiseppe, la tension est retombée, comme si rien de nouveau n’avait été planifié. C’est alors que pendant notre patrouille un duo de commandos de la VI° a atterri devant nous avec un message. On les a suivis après qu’ils aient placé une bombe au plasma sous notre véhicule. Nous avons été séparés, et j’ai voyagé jusqu’ici sans avoir de renseignement, monsieur.

–          Je me réservais de vous fournir les explications. Vous connaissez maintenant le cas de l’ex sénateur Wallace. Nous avons établi une connexion avec les problèmes de piraterie sur les routes commerciales, et même des tentatives de prise de contrôle de planètes telles que Reagan. Il nous faut maintenant une équipe de terrain multidisciplinaire.

–          Vous me proposez de couvrir cette équipe ? J’en serai, monsieur.

–          Je vous propose de faire partie de l’équipe. Votre expérience d’enquêteur l’enrichira amplement.

–          Bien monsieur. Et …

–          Le lieutenant Alanzi vous rejoindra, je pense que vous ne choisiriez personne d’autre pour vous couvrir.

–          Non monsieur, c’est le meilleur tireur avec qui j’aie fait équipe, et un excellent ami. Mais pourquoi alors la mise en scène avec la destruction de notre véhicule et nos disparitions ?

–          Une idée de l’amirale Landret. Votre disparition était inéluctable. C’est un coup dur pour votre brigade, mais elle s’en remettra. Un gros contrat avait été mis sur votre tête, et il aurait fini par être pris. Du coup, un de nos agents infiltrés vient de gagner un crédit important en empochant la prime et le prestige.

–          Vous êtes en relation avec elle pour tout ceci ?

–          Elle et moi sommes les deux seules personnes au courant pour cette équipe, à l’exception de ceux qui en font partie.

–          Alors monsieur, pourquoi quelque-chose d’aussi secret, exceptionnel et sans doute en marge de la légalité émane-t-il de vous ?

–          La raison est aussi grave que cela : la Fédération est en danger. Les programmes prédictifs ne nous accordent plus qu’une chance sur deux. La corruption a emporté la plus grande partie de nos institutions. Vous avez vu pour le sénateur Wallace, il y a beaucoup de cas dans les administrations, les grandes compagnies, l’armée, et même la Police Interstellaire, en dépit de mes précautions. Nous sommes en sursis si nous ne faisons rien, et nous risquons de tout perdre en en faisant trop, comme tenter de diriger les institutions. Je ne suis pas un révolutionnaire, trop de révolutionnaires ont fini dictateurs. Je ne suis pas un idéaliste, trop d’idéalistes ont trahi leurs idéaux. Bonne chance commandant.

–          Mais …

–          Commandant. Promotion accordée par la Force de Défense Planétaire de Reagan à titre posthume, confirmée dans la Sixième Flotte dans sa section de  cartographie stratégique.

La poignée de mains fut chargée d’émotions. C’était la seconde fois que Pietro Alanzi accueillait Bjorn Arnesen dans un astroport. Cette fois, c’était dans la ruche grouillante d’activité de New Dallas, où les vaisseaux se succédaient à un rythme effréné. New Dallas, cité industrielle des superlatifs, avec un milliard d’habitants, l’économie et la production de plusieurs autres planètes, ‘’et un temps pisseux à faire pleurer des hyènes’’, dit Pietro. Ce furent les seuls mots échangés pendant le trajet. Une fois qu’ils furent entrés dans un immeuble de bureaux anonyme, Pietro se détendit.

–          Ici nous sommes tranquilles.

–          Au fait, qui a fait ton briefing ? Demanda Bjorn

–          L’amirale Landret en personne. Il parait qu’elle est terrifiante. La vérité va bien au-delà. Et toi ?

–          John W. Smith. Je ne sais pas qui est le pire des deux.

–          Je préfère combattre la mafia.

–          Et moi les punaises.

–          Nous allons rejoindre l’équipe, c’est l’heure du petit déjeuner.

–          Comment sont-ils ?

–          Des terreurs, chacun dans son genre.

–          Nous aussi.

–          Oui.

Le spectacle était intéressant. Au moment où la porte terminait de s’ouvrir, quatre des six personnes dans la pièce avaient tourné la tête dans leur direction, dont l’une qui s’était déjà levée de derrière la pile de crêpes qu’elle était en train de tartiner. La jeune femme semblait à peine sortie de l’adolescence, avec un visage agréable, de longs cheveux châtain, et une mine boudeuse. Bjorn avait la certitude de l’avoir déjà vue, et avisa le badge de télépathe sur ses vêtements civils. Il se souvint. Elle et le jeune homme à qui elle venait de présenter une crêpe garnie de chocolat faisaient, ou avaient fait partie de l’entourage direct de Landret. Deux télépathes.

Une autre jeune femme, brune, vêtue d’une longue jupe rouge, d’un chemisier blanc et d’un gilet noir, s’adressa à lui, tout en conservant une distance importante.

–          Bonjour, je suis Natacha Romanova, de la Défense Planétaire de Solaria. Je serai votre partenaire au sol. Je sais que vous êtes Bjorn Arnesen, des commandos de la VIème Flotte, et Pietro Alanzi, de la Défense Planétaire de Reagan.

Comme beaucoup, Bjorn avait entendu parler des Solariens, surtout après leur défense réussie contre les Insectoïdes. Leur manière de vivre, pour autant qu’elle avait été discrète dans le passé, avait amené des journalistes à faire quelques reportages récents. Du coup, Bjorn ne savait plus s’il avait en face de lui la véritable personne ou le robot.

–          Si vous le permettez, reprit-elle, je vais vous présenter les autres personnes. Les lieutenants Alicia et Bud Steinway, télépathes de la Flotte.

Les intéressés firent un signe de la main, de la crêpe en ce qui concernait Alicia, et avec un large sourire au chocolat.

–          L’ingénieur Dniek, du service scientifique de l’état-major.

Bjorn savait, qu’en dépit de la convergence de forme, les Capharites étaient plus éloignés de l’humain que pouvaient l’être par exemple les Ursoïdes ou Félins. L’homme était de grande taille, aux traits anguleux. A l’énoncé de son nom, il inclina la tête de manière protocolaire.

–          Peter Hardin, qui sera notre pilote.

–          Bonjour, je peux avoir un autographe ? Ce n’est pas tous les jours qu’on rencontre le meilleur intérieur de la Ligue.

Bjorn sourit.

–          Ça fait huit saisons quand même.

–          Et alors ? Richard Owen vient de signer pour quatre ans chez les Galactiques, et il n’a pas l’air au bout du rouleau.

–          Bon, va pour l’autographe !

–          Et sinon, reprit Natacha, notre responsable d’équipe devrait arriver dans quelques minutes, il vient d’arriver sur la planète. En attendant, bienvenue.

–          Merci, répondit Bjorn, en s’emparant d’une crêpe avant de la tartiner d’une substance ambrée. Je suppose que nous aurons d’amples occasions de faire connaissance. Quelqu’un sait il pourquoi ce bureau est ici ?

–          Pas vraiment, répondit Natacha, mais ce lieu est proche du pouvoir, finalement, si on va enquêter dans les hautes sphères.

–          Nous avons plus  le profil d’une équipe d’action.

–          Avec les moyens de communication appropriés, oui, répondit Bud. Ma sœur aime aller près de l’action, pour ma part en compagnie de Dniek nous vous fournirons la documentation et préparerons la logistique. En maintenant un lien télépathique.

–          A quelle distance ?

–          Comptez sur cinquante années-lumière.

Bjorn siffla entre ses dents.

–          Dniek, vous faites partie de la cellule de guerre scientifique ?

–          Mettez ceci au passé depuis ma réaffectation.

–          Évidemment.

–          Et vous Bjorn, vous avez été sur Wotan 3 ? Demanda Natacha.

–          Oui, j’y étais, répondit-il.

Alicia le regarda d’un air effrayé.

–          Pardonnez-moi, je ne voulais pas écouter, mais je viens d’entendre, vous pensez trop fort, on vous apprendra à vous masquer si vous voulez. J’ai vu … oh !

Bud blêmit.

–          Lors de cette opération un commando était allé au fond de l’enfer… Je suis désolé… J’étais en service auprès de l’amirale, dans la salle d’opérations. Elle suivait les commandos dans la salle des générateurs. Elle a sursauté. Je l’ai vue devenir blanche et ses lèvres ont tremblé.  L’écran d’un analyste affichait une image d’un enfant, un truc vraiment moche, l’amirale a dit un truc du genre ‘’Wallace va le payer’’. Juste au moment où un autre analyste a envoyé le vert. Landret a alors ordonné le repli et le lancement de l’Oméga.

–          Les images venaient de ma visu. L’amiral Smith m’a dit que l’enfant s’appelait Ellyra.

La porte s’ouvrit, laissant le passage à un homme jeune, dans une tenue quelque-peu provinciale, l’air plutôt intimidé.

–          Oh, dit-il. Excusez-moi, j’ai l’air d’arriver au mauvais moment. Inutile de vous présenter, monsieur Smith m’a soumis vos dossiers. Vincent Laporte. Je serai votre administrateur.

Alicia enchaîna.

–          Et un autre volontaire pour les cours de discipline mentale. Vous auriez dû dire ‘’bonjour, je m’appelle Vincent et je pense trop fort’’.

–          Bonjour Vincent, dirent ensemble tous les autres humains, hilares. Dniek regarda autour, l’air surpris, mais ne dit rien.

Vincent sourit.

–          J’ai un casque de protection, mais je trouvais peu élégant de le garder branché.

–          Prenez une crêpe et expliquez votre cas s’il vous plaît, dit Natacha.

Vincent se servit.

–          Je sais, reprit-il, que vous êtes tous des vétérans avec les meilleures capacités dans vos domaines et des états de service à faire pâlir n’importe qui. Je n’ai pas ces prétentions, je sors de l’école, je n’étais même pas le mieux noté de ma promotion.

–          Second de la dernière promotion d’Administration Eco politique de Ceta, dit Dniek. J’ai été consulté sur votre dossier, et votre profil était plus sécurisant que celui du major de promotion. Lui est compromis par sa famille.

–          Monsieur Smith disait vouloir un homme neuf, sans ascendant ni passé. Je n’ai fait que mesurer l’ampleur de la tâche, je ne pourrai pas vous dire que faire, juste vous trouver les moyens de le réaliser. Et à part cela fournir une existence légale et administrative à notre unité. J’ai par ailleurs une première enquête que monsieur Smith désire vous confier. Un gros poisson à pêcher dans la périphérie…