L’embuscade était bien montée. Les corpos y étaient tombés comme prévu. Seulement, ils avaient eu la malencontreuse idée de faire suivre un deuxième convoi, plus armé celui-là. La situation n’évoluait pas comme Jake l’aurait voulu, et il comprit vite que le moment de se retirer était venu. Il beugla dans son com :
– Unités de réserve. Envoyez une double salve sur notre position, ECM en premier, puis explosifs. Et clouez-moi cet hélico. A toute l’équipe. On gicle, gardez la mine en position !

Il n’avait pas terminé que des sifflements suraigus provenaient du sud, où il avait placé sa réserve. Profitant de l’ouverture, il avait ciblé l’un des camions du deuxième convoi, et déclenché le pointeur laser. Cette fois, quand il appuya sur la détente, rien ne sortit de sa moto. Pourtant un point rassurant apparut dans son viseur, point remplacé par une gerbe de flammes à l’impact du missile. Ses caméras enregistraient. Il se laissa entraîner par son bolide, en direction de ses troupes. Les soldats corporatistes terminaient de se mettre en  place et commençaient à organiser une batterie. Il était temps d’être à couvert. Derrière lui, l’hélicoptère de combat voyait arriver deux flèches lumineuses. Son canon rapide les pointa immédiatement, faisant jaillir un déluge de feu de ses flancs. L’un des missiles s’alluma, inutile, à cinquante mètres de sa cible. L’autre arrivait plus près, beaucoup plus près, poursuivi par une gerbe de feu. Un projectile le toucha enfin, déclenchant une explosion mineure à l’impact, mais le bolide était déjà arrivé trop près : l’explosion finale déchiqueta la cabine de l’engin volant, qui s’écrasa en flammes pendant que son rotor détaché faisait des ravages parmi les soldats corporatistes.

Jake était déjà parti, avec la majorité de ses forces. Ni Jerry, Kate, ou Phil n’avaient eu cette chance. Jake voyait encore l’explosion qui les avait broyés, au moment où l’hélicoptère avait surgi de nulle part. Les corpos avaient probablement eu des pertes importantes eux aussi, mais leur anéantissement n’aurait pas ramené ses gars, ses amis.

Après avoir plongé en sous-sol dans cette zone de parkings, et couvert leurs traces sous un camouflage thermique, Jake ramena sa moto au parc. Son équipe formait une haie autour de lui, le poing levé. Il leva le poing également, à la manière des flibustiers des Nations Stellaires. Il voyait le regard embrumé de Brenda peser sur lui. Brenda était la copine de Jerry. Elle savait. Jake alla vers elle, lui posa une main sur l’épaule. Les mots lui manquèrent. Elle chuchota, les mâchoires serrées « Venge-le. Aide-moi à leur faire payer. » Il acquiesça.

Hector le héla, par-dessus la foule.

– Chef, j’ai des trucs à te montrer. Je crois que c’est grave.

Jake connaissait trop bien le technicien pour sous-estimer ses déclarations. Il traversa le groupe, et rejoignit le jeune hacker dans son véhicule bardé d’ordinateurs et d’équipements.

– J’ai analysé tes enregistrements pendant le retour. Je crois qu’ils ont quelque-chose.

Il montra un écran.

– Ici, le point où tu tires les missiles sur les camions du second convoi. Il était plus lourdement protégé, avec un hélico, à cause de ça :

Jake n’avait pas vu cette scène, il avait déjà tourné le dos en esquivant l’angle de vue de l’hélicoptère, pendant que ses caméras tournaient. La scène montrait l’arrivée de quatre autres missiles. Le premier frappa un camion en plein, les trois autres détruisirent l’escorte. Le second camion fut comme déchiré par les explosions.

– Ici ! Dit Hector, en pointant un détail du doigt, ce qui amena le zoom sur cette partie. Quatre cylindres apparaissaient sur l’écran, dont l’un était ouvert sur presque toute sa longueur. La règle indiquait huit mètres de long. Quelques détails glacèrent le sang du tacticien.

– Ca a la conformation et les aspects externes de … hésita Jake.
– D’un motivateur Wajsberg ! Avec au centre suffisamment de batteries pour le faire tourner quelques minutes en accélération. Le reste est probablement de l’explosif. Une torpille, Jake. C’est des torpilles qu’ils veulent envoyer sur nos gars.
– Tu as une idée du rythme de production de ces engins ?
– Ils devraient être assez faciles à réaliser une fois que l’on a les calculateurs embarqués, et de quoi les pointer. On n’avait pas de certitude sur l’émission d’ondes par l’hyperespace jusqu’à ce que …
– Jusqu’à ce que ce gars invente les Novæ, je sais. Et ça a suffi pour transformer une guérilla de flibustiers désespérés en espoir de victoire.
– Plus que ça, chef. J’ai capté des transmissions de soldats corpos en permission. Ils n’ont plus de vaisseau dans les Colonies ; Ils réarment et se regroupent sur Clarke[1].
– Alors la flotte des Nations doit être en route pour Sol.
– Ils on dû suivre. Les Corpos pourront toujours produire plus de vaisseaux que les colonies. Maintenant que notre avantage a été éventé, ils arment leurs vaisseaux de Novæ.
– Des Novæ, plus ça. Des torpilles spatiales.
– On en revient là.

Un écran sortit de veille, affichant un message.

– Ca a commencé, Jake. Un vaisseau de surveillance a repéré la flotte des Nations. Toutes les permissions sont suspendues. Le futur se décide dans trente heures.
– Tu as un décompte des forces ?
– Sous réserve de pannes ou de pertes non répertoriées, les Nations ont quatre vingt douze vaisseaux à envoyer. Je suppose qu’ils ne commettront pas l’erreur de garder des réserves. Les corpos en ont cinquante-deux, sur lesquels ils activent leurs Novæ. Les deux camps ont une majorité de transporteurs plutôt que de vaisseaux militaires, et en fait aucun vaisseau n’a encore été conçu pour porter des Novæ. Ils ont probablement armé Clarke, elle a suffisamment de masse pour résister à quelques tirs. La Lune est trop massive, et la Terre a une atmosphère en plus.
– Bon, je connais Mc Millan, j’imagine bien comment il va jouer ça. Il va garder sa réserve à Cap Canaveral, pour la faire équiper jusqu’au dernier moment. Un canon de plus pourrait faire la différence.
– Vingt-deux vaisseaux alors, sur le tarmac de Canaveral.
– Vingt-deux vaisseaux, reprit Jake. On a un moyen de les perturber. Un seul.
– Tu parles de l’Intruder ? Vrai, il est stationné à moins de deux cent kilomètres. Mais ce serait un vol de dingue pour arriver au milieu, avec une chaude réception à prévoir.
– Je te laisse calculer les paramètres de vol. Décollage, trajet au ras du sol le long de l’autoroute, accélération et décélération limites. En prévoyant les avaries.
– Le moteur central devrait tenir pour une arrivée sans trop de casse. Si le vaisseau n’a pas encore explosé, le commando à l’intérieur doit pouvoir effectuer sa mission. Ce sera un beau suicide.
– Je n’amènerai que des volontaires.
– Tu as besoin de moi aux commandes, chef. On va devoir envoyer toutes nos EMPs, et je pourrai tenir cet engin en ligne avec mon interface. Je dois avoir un beau feu d’artifice à leur envoyer. Je prépare la soute pour éjecter les motos. Avertis tout le monde pour le saut acrobatique.
– Commence les préparatifs, je te prendrai en vidéo sur l’atelier pour le briefing.
La soute du petit vaisseau spatial était pleine.  Là-haut, quelque-part, des dizaines de vaisseaux de plus grande taille s’apprêtaient à lancer un combat décisif pour l’avenir de l’ensemble des mondes des humains connus, y compris la Terre.

En se sanglant sur son éjecteur, Jake se rendait compte de la la difficulté et de l’importance de sa tâche, la sienne et celle de ces douze volontaires qui l’accompagnaient, pilote compris.

Dans cette soute, douze hommes et femmes s’apprêtaient à  se tenter un coup de dés dont le résultat pouvait être déterminant pour cet avenir.  Une folie. Folie glorieuse du guerrier qui part à la bataille pour affronter la plus grande puissance conçue par l’homme. Folie improbable de celui qui part défendre les vies et la liberté de deux cents millions d’individus, au détriment d’un monde qui en comptait plus de douze milliards. Mais la dynamique, l’avenir, étaient avec les moins nombreux. Jake pensa au prologue du Leg D’Alembert, qui avait bouleversé la société : « donner un avenir au futur ». Des scientifiques avaient forgé cet avenir. Mais la puissance des mégacorps l’avait corrompu, pour donner un cauchemar commun à l’humanité : celui des profits, des quotas, de l’insécurité.  Il restait une page à écrire pour libérer le monde connu de cette corruption. Cette page, c’était devenu la tâche à des guerriers de l’écrire.

Des guerriers.

Comme le frêle Hector qui dirigeait le vaisseau, en douceur, avec son interface. Un corps faible, mais un esprit d’acier.

Comme la puissante Cynthia, moins de viande que de machine dans son être, et plus du tout dans ses membres. Elle s’était retirée comme à son habitude, coupée du monde par son interface, prête à réagir en quelques millisecondes après le signal. Il n’y aurait personne pour siffler un faux départ.

Comme le lourd Skunk, pratiquement allongé sur sa moto carénée et blindée. Lui aussi attendait le moment pour jaillir, mais depuis la ligne arrière, comme il sied à l’artillerie.

Comme Guillermo, alias Viper, presque autant transformé que Cynthia, moins fort, mais avec une vitesse d’exécution qui aurait laissé celle-ci sur place.

Le bruit de l’alarme résonna dans les oreillettes et les interfaces.

– Ca y est, dit Hector, on plonge sur l’objectif. TSO 30 secondes.

Le chuintement répercuté sur la paroi du vaisseau était le seul signe du passage supersonique sous propulsion trans-inertielle. Le radar indiquait de nombreux échos.

– Huit vampires, indiqua Hector. Pulse en action. Ca va secouer.

Le puissant générateur lança une impulsion électromagnétique, du même genre que celles générées par une bombe atomique. Les systèmes de vision extérieure s’éteignirent. Autour, l’enfer se déchaînait. Des rampes de missiles larguaient une nuée d’engins de mort en direction de l’insolente guêpe qui se dirigeait droit vers le centre du dispositif de défense. Les effets de l’EMP se firent sentir. La plupart des missiles eux se désactivèrent sous le choc, d’autres partirent dans des trajectoires erratiques, mais quelques-uns continuaient leur course, inexorablement. L’ordre surgit en même temps que le signal électronique : « Largage ! ». La paroi de la soute se projeta vers l’extérieur, sous l’effet des charges explosives. Guillermo et Cynthia suivaient la paroi, à quelques centimètres à peine derrière, plongeant vers le sol. Trois mètres de haut, seulement.

Deux rangées de six motos lancées à plus de deux cent atterrirent avec fracas sur le tarmac, suivies immédiatement par plusieurs conteneurs. Devant elles, l’Intruder, l’arrière mis en fusion par les missiles qui impactaient, terminait sa course en percutant deux des vaisseaux, puis un troisième, qui étaient garés à quelques dizaines de mètres les uns des autres. Les missiles lancés par Hector firent également leur effet : plusieurs explosions avaient déjà eu lieu sur le sol, suivies par les impacts des autres missiles qui n’avaient plus de cible, ou de but, ou dont le dispositif de mise à feu s’était déclenché sous l’effet des brouillages.

Greg n’avait pas eu de chance : un missile destiné à l’Intruder le frappa directement, sans exploser, mais l’envoyant à terre tel un pantin désarticulé.

Jake était entré dans le vif du sujet : il zigzaguait entre les obstacles, pressant sa détente mentale lorsqu’il avisait une cible pertinente.  Derrière lui, les conteneurs largués par l’Intruder s’activèrent. Un à un, les micro missiles jaillirent par les ouvertures, s’abattant impitoyablement sur un sas, une écoutille, un poste de commandes, ou sur les longs tubes des canons nova.

Autour, les soldats corporatistes commençaient à sortir. Ce fut au reste de l’équipe de les retarder, le temps que les artilleurs vident leurs munitions sur les vaisseaux spatiaux, et les membres d’équipage qui tentaient de fuir par l’extérieur. Cynthia, habillée comme un soldat, se glissa dans un groupe, avant de sortir ses griffes. Guillermo s’était pour sa part infiltré par un sas en train de se refermer dans l’un des vaisseaux encore intacts.

Un déluge de feu s’abattait sur le tarmac. Les troupes éloignées, épargnées par le commando, avaient monté une batterie efficace, Jake vit les signaux d’urgence de plusieurs de ses membres s’allumer brièvement puis disparaître. Lui-même avait essuyé une rafale sur le carénage de sa moto et ressenti les impacts sur son corps. La piqûre de son autodoc se déclencha instantanément.  Le tarmac était devenu un enfer, des tirs non discriminés s’abattaient sur tout ce qui bougeait encore. Les deux derniers micro-missiles s’abattirent sur l’un des vaisseaux, le condamnant à plusieurs heures de maintenance avant de reprendre l’espace. Du temps. C’était du temps que Jake était venu acheter avec ses hommes, son sang, comme monnaie d’échange. Armant sa mitrailleuse, il s’apprêta à faire un dernier passage, une longue rafale qui allait emporter quelques uns des membres d’équipage qui s’étaient réfugiés à l’entrée d’un hangar, lorsque son communicateur s’activa.

– Viper à toutes les unités. Cap sur moi, et embarquez. C’était Guillermo. Jake changea son cap, se lançant dans un slalom démentiel à haute vitesse, le calculateur de sa moto lui fournissant en temps réel les trajectoires des rafales qui le menaçaient. Il franchit la quasi-totalité de la distance, avant de voir le point rouge qui se dirigeait vers lui. Il tenta de se dérober. Le micro-missile corrigea sa trajectoire. Devant lui, des soldats corporatistes remontaient leur hausse pour le cueillir. Jake activa sa mitrailleuse en tir continu. Le missile explosa à peu de distance derrière lui, le projetant au-delà du groupe de soldats, alors que sa moto terminait sa course dans l’épave d’un camion. Jake tomba sur le sol. La nouvelle injection le réveilla brusquement. Il pesta mentalement contre cette machine qui ne voulait pas le laisser mourir tranquillement, quand il se sentit soulevé de terre et transporté à toute vitesse en arrière. Cynthia avait repris sa moto, finalement. Il voyait à quelque distance le groupe de soldats se retourner, déterminés à tirer une nouvelle rafale sur les fuyards. Il vit la luciole qui s’abattit sur eux, les pulvérisant à l’impact. Skunk. Il vit les traînées de rafales qui convergèrent vers la position de l’artilleur.  Puis il vit le sas du vaisseau, de l’intérieur. Le sas externe se referma sur eux. Trois cadavres sanglants jonchaient le sol, ils portaient l’uniforme des équipages MVH.

Cynthia relâcha Jake, qui commença à flotter. Signe que le propulseur était activé, et qu’ils étaient probablement déjà en train d’accélérer.

– Les autres ? fit Jake, privé de vue alors que sa visière avait arrêté de transmettre des images.
– Seulement nous, Skunk était le dernier.

Ce faisant, elle reprit Jake et le porta sur quelques dizaines de mètres dans le vaisseau. Il se sentit posé sur une surface ferme, puis très rapidement délesté de son armure. Il perdit connaissance quand Cynthia débrancha son autodoc. Quand il se réveilla, elle était en train de le veiller. A son regard interrogatif, elle répondit en faisant un signe de victoire.

– On a gagné, pour l’instant. Mais tu n’es pas beau à voir, dit-elle.

Jake esquissa un rictus. Cynthia avait le côté gauche du visage comme passé à l’émeri, sa boîte crânienne métallique était visible en plusieurs endroits, et son œil manquait. En-dessous,  son bras droit était faussé, comme tordu, et elle avait encaissé de nombreux éclats.

– Je ne suis pas encore bonne pour la casse. Un coup de rabot ça et là et je repars comme neuve. Je ne pense pas que tu remarches sans cyber.
– Merci pour ta franchise. Je ne sens plus mes jambes. Et sinon, merci aussi pour m’avoir tiré de là.
– Ca vaudra pour les fois où c’est toi qui m’a tirée d’affaire.
Il s’est passé combien de temps ?

L’intercom de l’infirmerie sonna. Jake se tourna vers la console.

– Oui, Guillermo ?
-Affirmatif, répondit l’argentin, depuis la cabine de pilotage. On s’en est sortis, on va plus vite que les missiles, et personne n’avait anticipé un vol de vaisseau. Nous non plus en fait. Ils n’avaient plus rien à nous opposer en bas. Et franchement, je n’avais pas envie de chercher.
– Quelle est la situation sur Canaveral ?
– On devait avoir à peu près le dernier vaisseau du lot capable de décoller. Mais on n’a plus d’armement. Tu avais fait un joli tir.
– Epargne-moi les sarcasmes. Tu a le contact avec la flotte ?
– Ils ont engagé le combat une heure après qu’on ait attaqué. On a cloué l’escadre de Mac Millan au sol, comme on l’espérait. Mais ce n’est pas beau là-haut. Clarke est détruite, ça nous a coûté cher. On n’a plus que neuf vaisseaux, eux aucun. S’ils réparent à Canaveral …
– Passe-moi la flotte, si possible.
– Ils t’attendent. Tu vas avoir Olson, il commande le Nation Stellaire IV.

Une nouvelle voix se fit entendre dans l’infirmerie.

– Olson, pour la flotte de l’Alliance. On n’a pas le temps pour des palabres, juste un grand merci, Wells. Sans vous on ne tenait pas avec Mac Millan en plus. Mais on n’a pas gagné, loin de là. Votre équipier nous annonce une quinzaine de vaisseaux d’ici quelques dizaines d’heures.
– On savait qu’on ne pouvait que gagner du temps.

La réponse arriva au bout de quelques secondes, signe que leur vaisseau était éloigné de la flottille.
– Ne vous excusez pas. Vous avez fait beaucoup plus que ce qui pouvait être espéré. Mais nous n’avons qu’une seule solution maintenant.
– Laquelle ?
– Nous connaissons les points où les vaisseaux sont en préparation, dont Cap Canaveral. On n’a pas d’autre choix que de bombarder.

Une soudaine appréhension saisit Jake.

– Avec quoi ?

Olson confirma les pires craintes du terrien.

– On a des dizaines de blocs de métal qui pèsent jusqu’à plusieurs dizaines de milliers de tonnes. On a décidé de les envoyer sur les centres de production de vaisseaux. Depuis l’espace.
– Vous allez provoquer une catastrophe planétaire.
– Nous le savons. C’est pourquoi nous ne vous associons pas à cette décision. Une fois ceci terminé, nous tous qui avons pris cette décision avons décidé de restituer toutes nos responsabilités auprès de nos gouvernements. Et d’essayer de vivre avec ce souvenir.
– Et s’ils se rendaient ?
– Ils refusent catégoriquement. Les dirigeants corpos pensent que nous bluffons. L’ONU est injoignable. Les corpos ont posé un blackout complet, et il reste suffisamment de missiles et de chasseurs atmosphériques pour nous dissuader d’entrer dans l’atmosphère.
– S’il est possible de tenter quoi que ce soit …
– On a tout essayé. Ils comptent sans doute sur une cinquantaine de vaisseaux supplémentaires dans quelques jours et tentent de gagner du temps avant de nous écraser et de se retourner contre nos mondes. Nous n’attendons qu’une dizaine de vaisseaux supplémentaires rafistolés à la hâte dans les prochains jours, et un vaisseau neuf qui doit se terminer sur Breizh. Ils ne nous laissent pas d’autre alternative. Nous frappons maintenant, ou nous perdons tout.
– Je n’envie pas votre place, pour avoir pris cette décision.
– J’aurais aussi préféré être ailleurs.
– Vous ne semblez pas bouger rapidement.
– Le Nation Stellaire est à l’arrêt, nous réparons un impact. Wells, il me reste une chose à vous demander.
– Laquelle ?
– Nous allons bombarder et commencer le blocus.  Vous avez toujours une capacité hyperspatiale et un pilote, je vous demande de rapatrier des blessés, et de porter le message. Je vous ai envoyé une liste provisoire de nos victimes. Commencez par Breizh, vous pourrez vous y faire soigner.

Un bip retentit sur la transmission.

– Je suis demandé ailleurs. Bonne chance, Wells. Olson, over.
– Bonne chance à vous, répondit Jake avant de couper la communication.
– J’ai la liste des cibles du bombardement, enchaîna Guillermo. Tokyo, Beijing, Canberra, Seoul, Capetown, Düsseldorf, Paris, Londres, Cap Canaveral, Chicago, Rio de Janeiro, Los Angeles, Mexico, pour les plus importantes, et à peu près dans l’ordre de rotation de la Terre, avec les sièges des mégacorps et leurs principales usines. Une vingtaine de points secondaires.
– Epargne-moi cette liste.  Je préfère ne pas voir ce qui va se passer.
– Moi non plus, chef. Les chutes de météores d’une telle masse sont susceptibles de dévaster un continent. Il va y avoir des millions de mort sur l’impact. Et après … sans doute des milliards. Autrefois j’avais pensé que celui qui avait fait quelque-chose de spécial, qui avait influencé des milliers de vies, il se sentirait spécial aussi. En réalité, ce n’est pas vrai. Je ne me sens pas bien du tout.

[1] Station spatiale située sur le Lagrangien L2, point d’équilibre entre la Terre et Sol, à 1,5 millions de kilomètres (5 secondes-lumière).