Les pas des hommes avaient fait résonner la terre. Le sang des hommes avait ponctué ces échos de grondements assourdissants, chaque goutte provoquait en retour un écho impressionnant. Au-dessus de la terre, des hommes marchaient, et mouraient de mort violente.

Des profondeurs, une muette requête fut répétée, une fois de plus, comme à maintes occasions. Jamais auparavant une réponse n’était venue. Mais cette fois, Isis avait souri, et Anubis s’était incliné.

Le temps était venu.

L’obscurité était entière. Une pensée murmurait encore qu’il faudrait passer une épreuve de terre, une épreuve d’eau, et que l’épreuve de feu n’aurait pas de fin.

Puis les sensations apparurent. Un bruit, réel, cette fois. Un souffle court, rapide, le battement d’un cœur, précipité au début, puis lent et régulier, une fragrance indéfinissable mais puissante, d’herbes aromatiques et d’épices.

Bouger, se déplacer, semblaient impossibles. Une tentative provoqua un bruit de déchirement. Insister. D’autres bruits, un sentiment de mouvement, un membre qui sort de sa torpeur pour se détendre. L’odeur se fit plus entêtante, si c’était encore possible. Une main fine finit par émerger, et commencer à sortir le reste du corps de la gangue qui le retenait prisonnier. Le tissu était encore solide, mais les doigts étaient fins et agiles. Un corps souple, puissant, et indiscutablement féminin finit par se dresser dans l’espace étroit. Il fallait faire vite. L’épreuve de terre. L’antique science architecturale déterminait l’emplacement de la clef de l’édifice. Une pierre devait bouger. Elle sentit le glyphe et poussa. Puis un autre. Encore un. Et l’espace s’agrandit pendant que la femme comptait les pierres, pressait sans hésitation l’une puis l’autre, jusqu’à ce qu’une ouverture assez grande se fît dans le mur. Cette épreuve avait été simple.

Le couloir qui suivait était court. Elle le parcourut en tâtonnant les parois et s’arrêta devant la paroi opposée. Cette pierre était fraîche, presque humide.  Il y avait de l’eau derrière. Elle vérifia, incrédule. Comment se pouvait-il ? Mais le fait s’imposait à elle : à l’ouverture de cette paroi, de l’eau ferait irruption dans la tombe. Elle s’accroupit à côté de la fente, de manière à ne pas être projetée. Puis elle actionna le mécanisme. Les antiques systèmes libérèrent la porte, une ouverture se fit. De l’eau s’engouffra par l’ouverture. Elle fut surprise par sa force. Il n’y eut pas longtemps à attendre pour que la tombe fût remplie. La femme, qui avait retenu sa respiration, passa par l’ouverture aussitôt que plus aucun courant ne s’y opposait.

Immergée, elle reconnut aussitôt cette eau : elle était plongée dans le Nil sacré, quoi qu’il fût fortement corrompu, comme mourant. Mais elle ne pouvait se noyer ni se perdre dans le Nil ; le haut lui apparut comme une évidence, et bientôt dans la direction de sa remontée elle vit la lumière.

Elle émergea, prit sa respiration.

Les premiers rayons de l’aube se pointaient sur le lac et éclairaient pour la femme un spectacle de désolation. Le Nil avait envahi – non, il avait été forcé à envahir – la vallée funéraire. Le repos de nombre de ses ancêtres, et peut-être de ses descendants avait été perturbé, ruiné.

Prise dans sa colère et ses souvenirs, elle n’entendit pas immédiatement le grondement. Quand elle y prêta attention, des hommes étaient en train de descendre d’énormes chars.  Les chars n’avaient pas de chevaux ; les hommes étaient des étrangers, des peuples du Sud qui lui avaient autrefois prêté allégeance, mais elle comprit aussitôt qu’il ne faudrait plus y compter.

Des chars descendirent aussi des gens de son Peuple. Des femmes, certaines enceintes, des enfants, des vieux. Où étaient les jeunes hommes ? Tous semblaient apeurés. Les étrangers semblaient les menacer avec des sceptres étranges. Le désespoir se lisait sur les attitudes, les visages. Les étrangers les avaient-ils menés là pour les tuer ?

Elle sortit de l’eau et s’avança pour intervenir. Les hommes virent la femme nue, beauté jaillie du lac, et la menacèrent de leurs armes. Le feu, comprit-elle. Ces armes sont basées sur le feu et elles font couler le sang. Elle se souvint du bruit du sang frappant la terre.  La cause de son réveil. Elle devait empêcher ce qui allait se passer à cet endroit. Ce crime inéluctable si elle n’était pas revenue.

Elle esquissa un sourire. Les regards de concupiscence des étrangers devenaient lourds, l’un d’entre eux allait s’élancer vers elle, mais un ordre bref de l’un des étrangers, manifestement un chef, le retint.

« On nettoie d’abord et puis on s’amuse » dit-il dans une langue que la femme n’avait jamais entendue, mais qu’elle comprenait pourtant.

« Pitié pour mon fils » cria une femme, pendant que les étrangers dirigeaient à nouveau leurs sceptres sur les gens du Peuple.

« Que le feu soit éteint » dit la femme dans la langue ancienne de ses ennemis disparus, et pendant que l’un des étrangers la regardait d’un regard d’incompréhension, les autres semblaient déterminés à accomplir leur forfait. Au lieu des détonations auxquelles ils s’attendaient, seuls des cliquetis sourds répondaient.

« La chienne », dit l’un des étrangers, « elle a ensorcelé nos armes. »  Il s’élança sur elle, dégainant une lame courte, pendant qu’un autre reculait, manifestement apeuré par la magie.

« Que la terre et le vent m’obéissent ! », hurla la femme. De devant elle, le sable venait de se soulever, créant un tourbillon qui engloutit son agresseur. Elle regarda tout autour. D’autres tourbillons de sable tournaient autour de l’espace occupé par les étrangers, pour finir par fondre sur eux. Des cris de panique jaillirent, aussitôt remplacés par des hurlements de douleur. A l’emplacement de chacun des étrangers, un tourbillon de sable et de sang se substituait à l’homme. Des gerbes de sable rougi s’envolèrent, alors que les cris disparaissaient.

Il n’y avait pas eu de combat, de bataille. Pourtant les hommes étaient figés dans des positions grotesques, totalement recouverts de sable.

Une des victimes, un homme âgé, quitta le groupe prostré et s’avança vers un des bourreaux. Il frappa la forme du poing. L’ensemble s’écroula dans un seul tas de sable, il ne restait plus trace du mercenaire, ni de ses armes ou vêtements. Comme s’ils avaient cessé d’exister.

Le vieil homme recula, en proie à la panique, et courut en prononçant des imprécations. Alors que d’autres le suivaient et fuyaient, certains s’approchèrent de la femme. Personne ne semblait oser prononcer un mot. L’une des personnes secourues, une belle jeune femme aux cheveux noirs, retira le voile qui lui recouvrait la tête et se mettant à genoux, l’offrit à l’inconnue.

Avec un sourire reconnaissant, celle-ci accepta le don et s’en ceignit les reins, se formant un pagne. Une autre pièce de tissu lui couvrit la poitrine. Des dons simples, de ces gens qui n’auraient plus été en vie. Enfin, un des hommes osa rompre le silence.

« Pardonnez-moi madame, nous vous devons la vie, et nous ne savons qui louer pour cela. »

« J’ai eu de nombreux noms et titres, mais vous me connaissez comme étant votre reine, Cléopâtre. »